
Paul Ratavilahy est un des pionniers qui ont fondé le quartier « La Réunion kely» d’Ampefiloha. Ce sexagénaire affirme avoir occupé les lieux avec sa famille depuis 1991. Il nous raconte son vécu dans ce bidonville depuis cette année-là.
* Les Nouvelles : Qu’est-ce qui vous a amené à quitter votre lieu d’origine ?
– Paul Ratavilahy : Je suis originaire de la Commune rurale d’Andramasina, du district du même nom. En 1991, j’ai quitté cette commune pour tenter ma chance dans la capitale vu qu’avec le montant du « Sarak’ antsaha » (main d’œuvre agricole), je n’arrivais plus à subvenir aux besoins familiaux.
* Pourquoi avoir choisi « La Réunion kely », plutôt qu’un autre endroit?
– Je suis arrivé à « La Réunion kely » par pur hasard. Et ce, après avoir erré et dormi pendant plusieurs mois dans différents endroits de la ville, notamment à Isotry, les 67 ha et Analakely. Un collègue de terrain qui habite les lieux m’a proposé de construire ma propre maison, à côté de la sienne. Une fois la construction terminée, j’ai amené ma femme et mes cinq enfants d’Andramasina pour venir y habiter. Nous étions à peine une vingtaine de toits à cette époque et on n’a occupé que la rive gauche du canal. Actuellement, ce bidonville s’étend sur plusieurs km le long des deux rives, allant jusqu’à Soanierana.
* Depuis, qu’avez-vous comme source de revenu familial ?
– Toujours les bacs à ordures. Fouiller, nettoyer ou réparer ensuite les objets trouvés et les vendre. Ma femme fait la lessive des étudiants des 67 ha, quant aux enfants, ils font la quête ou des petits boulots comme chercher de l’eau ou débarrasser les ordures ménagères des quartiers avoisinants. Sans être le paradis, on peut dire qu’on vit mieux ici qu’à la campagne, car on y trouve toujours, au moins, de quoi manger. Notre famille s’est même agrandie avec l’arrivée de trois autres enfants.
* Qu’en est-il actuellement ?
– Cinq de mes enfants ont leur propre foyer. Deux d’ entre eux ont été embauchés comme aide-camionneur, ils nous envoient quelquefois de l’argent. Quant aux trois autres, ils sont toujours en quête de travail, en faisant des petits boulots ici et là pour survivre. Avec l’âge, ma femme n’arrive plus à faire beaucoup de lessive comme autrefois. Les trois enfants qui restent m’aident dans la fouille des bacs à ordures et essaient tant bien que mal de devenir indépendants. Toutefois, avec l’effectif des démunis qui ne cesse d’augmenter, le champ de fouilles de chacun s’amenuise de jour en jour. Et gare à celui qui marche sur les plates-bandes des autres.
* Durant ces 25 ans, est- ce que vous n’avez jamais pensé à trouver autre chose pour améliorer votre situation ?
– Si, bien sûr, mais comment et avec quels moyens ? L’espoir était même permis avec la venue des projets de migration, comme celui d’ Anjozorobe. Deux fois j’étais partant. Mais c’était trop beau pour être vrai. Les aides et les soutiens n’ont été qu’au début du projet puis tout s’est arrêté d’un coup sans que on n’ait pu savoir pourquoi. Le pire, on était obligé de faire plus d’une centaine de km à pied pour revenir ici. Beaucoup de nos camarades ont péri durant cette aventure.
Propos recueillis par Sera R